Daniel Darc : de l’autre côté de l’enfer, l’éternité et la grâce

Daniel Darc

Un magnifique texte hommage à Daniel Darc, disparu il y a peu, offert pour les lecteurs de la Griotte, par un Mister Ming touché au plus profond : Les histoires avec toi Daniel, c’est souvent des histoires de premières fois. La première fois… Putain, la première fois que j’ai pleuré, à gros bouillons, comme un con, c’est quand j’ai appris ta mort. J’étais resté impassible depuis longtemps, j’avais pris l’habitude de garder quoi qu’il arrive ce masque de cuir cousu de détachement. La première fois que j’ai pleuré c’est donc à la nouvelle de ta mort, Daniel Darc, et je te dois bien quelques explications, maintenant que je suis bien sûr de ne plus te rencontrer.

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La première fois que, comme nous disions à l’époque, j’ai « flashé » sur un groupe français, ce fut pour le Seppuku de Taxi Girl. Rien que ce titre, et cette pochette que tu voulais distribuer avec des lames de rasoir…

Seppuku Taxi GirlUne précision pour commencer : malgré le succès prodigieux de Cherchez le garçon, Taxi Girl était un groupe teigneux, d’une tendance que j’appellerai arty, qui se servait du punk comme d’un ouvre-boîte déconstructionniste. La nouvelle vague anglaise bien sûr, Kraftwerk, Lou Reed, les drogues, la violence, les synthés de Laurent Sinclair, les taillages de veine sur scène, ces éléments apparemment hétéroclites du mythe se cristallisèrent en 1982 dans un objet tout sauf académique : Seppuku.

Seppuku, qu’il m’arrive encore d’écouter en boucle, est un album lumineux et suffocant, d’une densité incroyable, d’une beauté paradoxale : un diamant au fond d’un tombeau. A quinze ans, jamais je n’avais imaginé qu’on pouvait éprouver autant de plaisir funèbre.

daniel-darc_2On dit que votre manager, qui s’attendait à refaire le coup de Cherchez le garçon, flippa méchamment en écoutant les bandes. Comme je le comprends… Malgré d’évidentes lourdeurs, on se rappellera les mélodies raffinées et légèreté cristalline des claviers de Laurent Sinclair.

Il faut dire que la production était assurée par JJ Burnel, la batterie propulsée par Jet Black (Wolfsohn étant mort d’overdose). Bref Taxi Girl comme succursale française des Stranglers période La Folie, la multinationale post-punk avait de quoi imposer ! Et pour quelques-uns d’entre nous, ce poison exaltant s’imposa comme une évidence. C’est alors que nous nous sommes retrouvés enrôlés dans les armées de la nuit.

S’il m’est permis de faire un détour, je n’ai d’ailleurs de souvenirs de cette époque que de nuits. Et l’on fait toujours des bêtises quand on s’ennuie ou quand on n’arrive pas à dormir. Nous avons donc passé nos nuits à courir ensemble par dessus des abîmes entrouverts par les drogues, la violence et parfois la mort. Ce fut une existence pressée, intense car nous pouvions chuter à tout moment.

Curieux destin pour une génération. Toi et moi et tous les autres, nous étions alors tendus entre l’immédiat et l’éternel. Nous avions la certitude que le monde est une scène. Que tout est dérisoire. Qu’il faut donc s’amuser avec obstination et intensité.

Mais certains ont aperçu dans cette comédie autre chose que le jeu ou l’oubli : l’intensité leur a précisément ouvert une fenêtre sur l’éternité (comment mieux décrire l’effet de certaines drogues ?). Alors ils ont cherché. Il n’y eut rien de plus dérisoire et de plus intense que la musique, la défonce, l’élégance et plus tard, la littérature : toutes nous rapprochaient de l’éternité.

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Retour à la chronologie.

Le reste de Taxi Girl, après la disparition de Sinclair, mériterait de plus longs développements. Pas ici. Pour résumer, les jolies rengaines, rondes et vicieuses, de Quelqu’un comme toi ou Belle comme une balle m’ont à ce moment bien plus déprimé que Seppuku (« N’oublie jamais l’enfer est à nous« ). Car Taxi Girl jetait la sciure et rangeait les chaises, l’époque se terminait, nous avions la gueule de bois nous n’avions rien trouvé rien inventé…
…et dehors il s’était mis à pleuvoir.

Daniel Darc 5Mon frère en ténèbres, les années ont alors passé très vite et il a fallu trouver des palliatifs, des causes, des missions. A défaut de quête, par habitude nous restons en vie, gonflés de logique et de routine…

Prétendre que j’ai suivi ta carrière après Taxi Girl serait un mensonge. Mais à quelques occasions j’ai pu revoir ta carcasse, les tatouages qui s’emparaient de toi.

Quelques-unes de tes chansons, ta voix douce et patiente m’ont encore touché, cette beauté fragile à laquelle tu savais donner vie s’animait encore. Mais pour moi ça n’avait plus de sens, l’esprit de l’époque était définitivement éteint.

Je n’ai pas manqué de remarquer ton visage fané et ton regard éteint. Toutes ces preuves de l’enfer que tu portais à la boutonnière, toujours dandy, toujours en quête. Comme tu as dû en traverser de nouveaux gouffres… Chacun les siens mais au fond nous y trouvons la même chose.

De l’autre côté de l’enfer il y a la l’éternité et la grâce, la lumière et le calme. Là où tu n’as besoin de rien… (Psaume XXIII)

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Le rock 50’s, la littérature beat, la quête spirituelle, la littérature, nos origines communes, j’aurais encore passé bien des nuits à parler avec toi…

Je crois, quant à moi, que tu étais déjà parti. Je pense à toi, je pense aux tiens. Ils devaient savoir que tu étais déjà parti.

Nous ne sommes pas faits pour ce monde. Plus exactement ce monde ne parle plus notre langage, et nos armées se sont dissipées dans la nuit de l’oubli.

Quelle solitude maintenant. Il ne reste qu’à oublier ou ressasser. Il ne reste que le calme, et nous avec nos mains et nos coeurs, ne sachant qu’en faire.
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Michel « Ming » Fourcade  pour la Griotte.

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NB : Cette chronique n’est pas écrite par la Griotte. Elle fait partie de celles qui, invitées par la Griotte, trouvent leur place dans la rubrique opportunément nommée Carte Blanche.

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One Comment to “Daniel Darc : de l’autre côté de l’enfer, l’éternité et la grâce”

  1. « nos armées se sont dissipées dans la nuit de l’oubli. » pas du tout. nous sommes toujours la et agissons avec acharnement (encore) en nous exercant a ne pas succomber, comme Darc et tant d’autres, tant d’autres, tout en restant authentiques…exercice difficile mais pour nous sans alternative. pas d’oubli.

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