Nice sous la douche écossaise

En 1763, Tobias Smollett, écrivain écossais, et ex-médecin de son état, décide de quitter ses brumes natales et de se refaire une santé sur les rivages méditerranéens. C’est étonnamment grâce à (ou malgré) ce buveur de scotch acariâtre, dont les chroniques ne manquaient pas de celte, que La Griotte et tant d’autres se sont installés à Nice. En effet, tout au long de son éprouvant voyage il prend des notes acides sur les régions qu’il visite et envoie de nombreuses lettres à ses amis d’Angleterre. 

Il faut dire que ce voyage entre l’Écosse et Nice est une véritable expédition en cette fin du XVIIIe siècle. Il fallait sept jours et demi pour aller de Calais à Lyon, trois de Lyon à Aviron, et quatre d’Avignon à Nice. De Calais à ce qui ne s’appelle pas encore la Côte d’Azur, il y a près d’une centaine de relais de poste à qui il faut montrer patte blanche et bourse bien garnie, des routes mauvaises et des auberges détestables où il doit souvent partager sa chambre avec des individus qui ronflent ou sentent l’ail. Pire que l’haleine du monstre du Loch Ness, pour le délicat Smollett.

Il arrive de fort mauvaise humeur à Nice où il doit passer quelques jours. Il y restera en fait deux ans.

Il fait connaissance avec cette région « où il pleut si peu souvent« , s’enchante du parfum des orangers et des citronniers, parcourt les champs d’oeillets, déclare délicieux les anchois frits à l’huile et se délecte des melons d’eau. Il découvre aussi une eau-de-vie locale dont il semble bien qu’il abuse quelque peu. Et, à la stupéfaction des Niçois, il se baigne.

Ce reporter curieux et au regard avisé, continue d’envoyer de nombreuses lettres à ses amis à kilt et moustache rousse. Il ne mâche pas ses mots, et décrit les servantes niçoises « paresseuses, négligentes, et d’une saleté repoussante« , les rues « remplies d’excrément« , les boutiquiers « rapaces et fraudeurs » et les ouvriers « qui ne pensent qu’à se chauffer au soleil« . Même les médecins ne trouvent pas grâce à ses yeux de poitrinaire, « ils sont hors de prix » mais il ajoute aussi, en bon Écossais « on le paye jamais ».

En tous cas, il recouvre la santé et le moral à Nice et à son retour, il publie un ouvrage en deux volumes intitulé Travels through France and Italy au ton grincheux et souvent critique.

Ce sont ses critiques acerbes, mais souvent justes, qui, paradoxalement, lanceront Nice.

Dans les années qui suivirent, les familles anglaises les plus fortunées et les artistes en mal d’inspiration ont voulu voir de leurs real eyes ce que Smollett avait raconté.  Ils sont venus de plus en plus nombreux et de plus en plus titrés. Jusqu’à la Révolution, on vit à Nice lord et lady Cavendish lady Fitgerald, le duc d’York, frère de George III, le duc et la duchesse de Goucester, le duc de Bedford, lady Penelope Rivers (ancêtre de Dick ?) se promener sur le bord de mer. Des hôtels luxueux et des superbes villas ont été construits pour accueillir ces hôtes inespérés. Des Français se hasardent même à rejoindre les précurseurs britannique. Un haut parlementaire, le président Dupaty s’étonne même de trouver à Nice « des colonies d’Anglais, de Français, d’Allemands » : « c’est là que de tous les pays du monde, l’on fuit l’hiver. Nice, pendant l’hiver, est une espèce de serre pour les santés délicates … J’ai vu des Anglaises touchantes, et même charmantes ;  leur arrivée, elles mourraient ; elles ont refleuri dans l’air de Nice. »

La réputation de Smollett bat de l’L …

Rue Smol(l)ettC’est donc au grincheux Smollett que Nice doit pour partie son succès. La Ville lui rendit bien mal ce service. Elle refusa d’abord de le nommer consul en réponse à sa demande: « vous avez tellement diffamé le comté de Nice dans vote correspondance, que si vous y retourniez, les habitants vous assommeraient probablement » lui fut-il répondu. Comble de malchance, (vengeance ?), lorsqu’on lui attribua une rue (entre le boulevard Risso et le boulevard de Riquier) on a même estropié son nom sur la plaque de rue, en lui enlevant un L.

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