Chaise musicale

Notre grand poète encore vivant, Higelin, évoquait dans sa chanson Poil dans la main « une chaise à l’état brut, qui avait dû en voir et en recevoir des culs, des gros lourdingues à fessier mou, des p’tits malingres serrés du trou, ou des jolis volupteux qui vous attirent le bout de yeux pour mieux leur passer les menottes« . Aujourd’hui la Griotte a envie de vous parler d’une chaise qui n’a reçu qu’un seul cul dans toute sa vie, celui de Glenn Gould, l’un des plus grand pianistes du XXe siècle. Une chaise spécialement modifiée pour lui, plus basse que les autres, sur laquelle il a joué toute sa vie, pour tous ses concerts, et dont le grincement caractéristique est inséparable de son propriétaire aux doigts de fée, mort le 4 octobre 1982, il y a exactement 30 ans.

Glenn Gould chez lui à toronto, en 1946 avec Nicky son setter anglais et Mozart sa perruche

Le père « la chaise »

Le père « la chaise »

Quand il était petit, Glenn ne tapait pas de toutes ses forces sur les touches de son piano pour en extirper des sons épouvantables comme le font habituellement les enfants, et comme le fit régulièrement la Griotte en des temps reculés.

Non. Glenn touchait délicatement une touche à la fois, et laissait son doigt le plus longtemps possible pour écouter avec délectation le son jusqu’à ce qu’il expire de sa plus belle mort.

Rien d’étonnant donc à ce qu’il apprenne à déchiffrer les notes avec son professeur de mère, Florence Grieg (parente du compositeur norvégien Edward Grieg) bien avant de savoir lire. A dix ans, il déclarait déjà à son père, Russel Herbert Gould, qu’il voulait être pianiste de concert.

Lorsqu’il a eu dix ans, Glenn est devenu l’élève d’Alberto Guerrero, au conservatoire de Toronto. Ce célèbre pianiste et chef d’orchestre chilien avait imaginé pour Glenn un système compliqué d’exercices de doigts et lui pressait toujours les épaules vers le bas quand il jouait. Glenn résistait bien sûr à la pression, mais le professeur était le plus fort.

Alors le père de Glenn a eu l’idée de s’emparer d’une chaise qui trainait depuis longtemps dans la maison familiale et de lui scier carrément les pieds, pour que le clavier soit à la hauteur des yeux de son fils. Il lui a ajouté des vis de huit centimètres pour que son fils puisse régler à son gré la hauteur qui lui convenait le mieux.

Semper fidelis

Semper fidelis

Cette chaise, Glenn Gould l’a emmenée partout, dès ses premières auditions, pour ses concerts avec les plus célèbres chefs d’orchestres et interprètes (Karajan, Bernstein, Menuhin), et pendant toutes ses séances d’enregistrement.

Elle était là bien sûr, bien calée sous les fesses de Glenn alors qu’il fait un triomphe en juin 1955 avec son interprétation si extraordinaire des Variations Goldberg de Bach dans les studios CBS de New York.

Elle était là pour accompagner de son grincement, le toucher si différent et reconnaissable entre tous de Gould, et même son chantonnement si incongru et si caractéristique durant ses interprétations.

Elle était là durant toutes ses apparitions en public pendant une dizaine d’année dans les plus prestigieuses salles du monde. Elle était toujours là quand il a décidé de quitter définitivement la scène en 1964, à 32 ans, pour se consacrer exclusivement aux enregistrements en studio et à la réalisation d’émissions de radio et de télévision.

Elle était là, pour le plus grand malheur des ingénieurs du son, et se faisait entendre assidûment, durant toutes les séances d’enregistrement, toujours présente et toujours fidèle.

Elle était là, plus que délabrée, rafistolée et branlante, partout où son excentrique et génial propriétaire se produisait. Bassement servile et hautement fidèle, elle supportait les nombreuses couches de vêtements, les chapeaux et même les gants de Gould le frileux.

Elle était là aussi pour le soutenir quand il trempait ses bras dans l’eau très chaude avant chaque concert. Ou quand il mangeait le même repas (œuf brouillé, pain grillé, salade et biscuit) chaque jour. Elle a même entendu dire qu’il souffrait d’une forme d’autisme, dénommée le syndrome d’Asperger, qui expliquait pas mal de ses tocs, de son notoire manque de courtoisie, de l’hypersensibilité de son ouïe, de sa vue et de son toucher alors qu’il était totalement insensible au niveau du goût et de l’odorat

Jamais sans ma chaise

Jamais sans ma chaise

Elle l’a accompagné jusqu’au bout, usée, éreintée, alors qu’elle n’avait même plus d’assise, et que le pianiste devait s’asseoir sur son rebord.

Elle l’a escorté jusqu’à sa mort en 1982 des suites d’un accident vasculaire cérébral à Toronto.

Et alors qu’il est inhumé au cimetière Mount Pleasant de Toronto, dans un tombe sur laquelle sont gravées les premières mesures des Variations Goldberg, elle ne le quitte enfin que pour être exposée dans un musée d’Ottawa en son honneur, à côté de son Steinway CD318.

A l’occasion des 30 ans de sa mort, Sony a édité un magnifique coffret de 42 CD sur les interprétations de Bach par Gould.

  • Coffret Glenn Gould Bach édition, Sony, septembre 2012, 81,33 €.

Griotte sur le piano

Griotte sur le piano

Une ‘tite histoire que la Griotte adore :

Mozart et Bach se retrouvent dans un café. Le serveur s’approche pour la commande :

– que prendrez-vous messieurs ?

– Jean-Sébastien : un baby !

– Wolfgang Amadeus : un baby, comme Bach.

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