Le beau temps de la rentrée littéraire

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La Griotte avait découvert l’an dernier Maryline Desbiolles avec Ceux qui reviennent. Elle avait été véritablement subjuguée par l’écriture mi-poétique, mi-réaliste, par la précision des mots, par la dureté des situations qu’elle décrivait. Elle est de nouveau ensorcelée par Le beau temps, son nouveau livre sorti fin août.

Maurice Jaubert

Maurice Jaubert

Photo ci-dessus : Maurice Jaubert en vacances à Nice en 1939.

Le héros de son nouveau roman s’appelle Maurice Jaubert, compositeur de musique de film, « né avec le siècle neuf » à Nice et mort au début de la guerre de 40 sur le front.

Ce personnage a existé. Généreux et créatif, il a connu toute la création artistique des années 20 et 30, côtoyant les chantres de la musique contemporaine (Honegger, Messiaen) et surtout ceux du cinéma d’avant-guerre : Jean Vigo d’abord, et puis René Clair, Marcel Carné ou Jean Renoir.

À Nice la belle, ville cosmopolite secouée par les avant-gardes mais aussi Nice la noire, qualifiée par Vichy de « fille ainée de la révolution nationale » où Joseph Darnand fonde sa sinistre milice.

À Paris aussi où il exerce ses talents, et en particulier à l’entresol de la salle Pleyel qu’il appelle sa « termitière ».

Maurice est élégant. « un visage ligure, teint bistré, grands yeux fiévreux, la voix chaude et l’élocution méridionale, ainsi le décrit son ami, le musicien Marcel Delannoy. Le teint bistré suggère les lèvres mauves qui, elles, évoquent la mer vineuse et le dedans de l’oursin qu’on s’apprête à ouvrir »

La plume de Maryline Desbiolles tour à tour accompagne son héros tout au long de la première moitié du XXe siècle comme une biographie classique, et quelquefois s’évade au siècle suivant racontant sa propre enquête et tirant les leçons de l’Histoire et de la petite histoire. Biographie autant qu’essai sur la difficulté et l’émotion presque passion amoureuse du biographe.

316hcjxFPWL._SX337_BO1,204,203,200_Avec Le beau temps, on redécouvre la Côte d’Azur « à l’écart et au coeur du monde« , on pénètre dans les mythiques studios de la Victorine de Nice où sont tournés les Visiteurs du soir (1942) de Marcel Carné, on croise Vigo, Clair, Renoir, Duvivier, Painlevé, et alors qu’Hitler envahit la Pologne on se rappelle des avertissements de Pie XI « le plus dangereux adversaire du nazisme« .

Elle fait revivre son héros à la foi et au talent musical intimement mêlés et chevillés au corps et au coeur, qui joue, enfant, avec les petits Renoir à Cagnes-sur-mer.

Son enfance musicale bercée par la musique de ceux qui ont séjourné à Nice : Berlioz, Wagner, Massenet, Fauré, Stravinski.

Et lorsqu’il devient le plus jeune avocat de France à 19 ans. Parce que pour Maurice Jaubert il ne s’agit pas de faire carrière mais d’épouser la musique, la « divine amie ».

Et on l’accompagne alors qu’il est l’un des premiers élèves du tout nouveau conservatoire de musique de Nice, créé en 1916 par Adeline Bailet.

Alors qu’il achète des livres à la librairie Visconti…

Elle fut, cours Saleya, dans le vieux Nice, et pendant plus d’un demi-siècle, le fameux établissement littéraire Visconti, un des plus fameux d’Europe, où la bonne société, artistes et écrivains interantionaux, riches étrangers en villégiature fréquentent la grande terrasse, illuminée le soir de lanternes de couleur, et d’où, à carnaval, on peut admirer le corso et le bombarder de farine. »

Et lorsqu’il épouse Marthe Bréga, cantatrice frantasque, « exquise féministe ».

On sourit avec les premiers alpinistes, comme Victor de Cessole et le Club Alpin Français.

On voit revivre l’Artistique, le tout nouveau cercle niçois où

on peut entendre des concerts « sérieux » mais aussi des chansons rosses qui épinglent les notables niçois, voir des expositions, danser lors de magnifiques bal costumés, jouer au bridge, faire bombance ».

Au début du livre l’auteur se pose des interrogations existentielles :

Comment se tenir près de Maurice Jaubert et ne pas faire corps avec lui ? Comment ne pas se fondre dans ses lettres et plus encore dans sa musique sans plus ajouter un seul, un traître mot ? Comment s’engager tout entière dans cette histoire et en même temps tenter de décoller, tenter de se dégager, une épaule, deux épaules, le torse, comment prendre la tangente ? En somme, comment ne pas assujettir Maurice Jaubert ? Comment ne pas en faire mon sujet ? Comment le laisser libre, et, ce qui va de pair, comment rester libre moi-même ? »

Matisse, Henri (1869-1954): Interior a la boite a violon (Interior with a Violin Case), 1918-19. New York, Museum of Modern Art (MoMA)*** Permission for usage must be provided in writing from Scala.

Henri Matisse : Intérieur avec une boite a violon , 1918-19.

Elle y répond tout au long de cet excellent livre, avec sa langue dense, pleine de poésie, toujours riche et singulière. Et ajoute un troisième « personnage » à ce duo : Nice.

« Nice n’est plus en Provence, pas encore en Italie, française depuis peu, perdue à l’extrême sud-est mais fréquentée par le monde, le beau monde, les Russes, les Anglais, les étrangers qui façonnent la ville, les artistes, Matisse par exemple qui depuis 1916, toutes fenêtres ouvertes, peint par-dessus la mer ».

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Le seul hiatus dans cette dithyrambe livresque : on a envie d’entendre la musique de Maurice Jaubert en tournant les pages, de revoir les films pour lesquels il a oeuvré… et ça c’est les limites du livre… Limites que la Griotte peut aisément franchir en vous faisant écouter du Jaubert :

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  • Le beau temps de Maryline Desbiolles, édition Seuil (20 août 2015), collection Fiction et Cie, 240 pages, 17,50€.

 

 

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