The Cure de jouvence

The Cure à la villa Beau-Site

Ami entends-tu le vol noir des corbeaux sur la Baie ? C’est dans la villa Beau-Site de Nice, que Robert Smith, leader rock-gothique du groupe anglais The Cure a choisi en 1987 de tourner le clip de sa chanson, devenue tube, Catch. Il faut dire qu’il a de l’allure ce château qu’on jurerait en carton-pâte pour ce groupe outrageusement maquillé à la truelle. Les corbeaux new wave n’ont pas hésité une seconde avant de se percher là, sur les hauteurs de Nice, dominant la Baie des Anges et la Promenade de ses compatriotes.

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Drôle d’endroit pour une rencontre entre cette plaintive ballade (forcément anglaise) évoquant la neige et la célèbre Promenade, où chaque rare flocon fait l’objet d’un reportage spécial au JT.

Yes I know who you remind me of,
A girl I think I used to know,
Yes I’d see her when the day got colder,
On those days when it felt like snow« 

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Une petite villa devenue château-gâteau

En 1882, Eugène Vidis, marchand niçois de son état, achète une villa de plan carré, construite une dizaine d’année auparavant sur le Mont Boron à Nice, et, sans doute pour rendre compte de sa réussite, lui ajoute une tour d’angle carrée.

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La villa Beau-Site à Nice

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Beautiful Site

Quelques années plus tard, un autre négociant, britannique cette fois, Achille Larrey baptise la villa Beau-Site et demande à l’architecte Sébastien-Marcel Biasini de l’agrandir. Le style éclectique de cet architecte niçois convient bien à sa clientèle internationale friande de palais et de « folies » aussi extravagantes les unes que les autres.

On lui doit bon nombre d’hôtels prestigieux de la Belle Époque et de villas singulièrement ostentatoires qui ne cessèrent de se multiplier à Nice : la Villa Les Palmiers (siège aujourd’hui des Archives Municipales), l’hôtel Régina (1896) en haut du boulevard de Cimiez, la Villa de la comtesse Starzinski sur la Promenade des Anglais, l’Athéneum boulevard Victor-Hugo, l’hôtel Impérial sur le boulevard Carabacel, l’hôtel du Crédit Lyonnais avenue Jean-Médecin, ou encore l’hôpital de Grasse.

C’est donc tout naturellement à cet architecte prolifique, vice-président du Comité des fêtes, créateur de chars pour le Carnaval, «bouillant, exubérant, petit et bedonnant» comme le décrit un journaliste mondain de 1897, que s’adresse Larrey pour modifier sa villa.

Sa Majesté Biasini, comme on l’appelle alors, ajoute donc une aile latérale avec une décoration faite de quatre colonnes terminées par des chapiteaux corinthiens et un entablement surmonté d’une balustrade et de statues. Il dote ensuite l’ancienne tour d’un belvédère entouré d’arcades, lui donnant l’aspect d’une pièce montée.

Catch The Cure

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La maison principale avec ses immenses baies vitrées offrant une vue époustouflante sur la Méditerranée, sa loggia de colonnes corinthiennes et son salon de musique raffiné, paré de fresques murales et d’un plafond à caissons de bois est une vraie réussite architecturale, digne des célèbres palais Belle Époque de la Riviera.

Isba billa Beau site

L’Isba, un cabanon russe en béton imitant à merveille des rondins de bois.

La veuve d’Achille Larrey agrandit la propriété vers 1910, en achetant un petit terrain. Cédant à la mode de son époque toute entière tournée vers la Russie – Diaghilev vient de faire un triomphe avec les Ballets Russes en créant L‘Oiseau de feu d’Igor Stravinski, Kandinsky vient d’exécuter sa première oeuvre abstraite –  elle fait construire une isba pour recevoir des amis. Elle adjoint également à la villa une maison à l’apparence troglodyte, avec ses fenêtres irrégulières taillées dans la pierre.

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Le diamantaire Lewis London l’ajoute aux joyaux de la couronne britannique en 1920 avant de la revendre, en 1948 à Gisèle Tissier, musicienne virtuose et organisatrice de grandes « Fêtes d’art » des années folles pour la haute société européenne en villégiature sur la Riviera.

Madame+Tissier

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Entrée des harpistes

Gisèle et Paul Tissier à l'hôtel Ruhl en 1924

Gisèle et Paul Tissier à l’hôtel Ruhl en 1924

Harpiste inspirée, élève de Gabriel Fauré, 1er prix de Conservatoire, compositrice, Gisèle Tissier fait beaucoup pour transmettre son amour de l’art, aux côtés de son mari, Paul Tissier, architecte et aquarelliste réputé.

Après la mort prématurée de celui-ci en 1926, elle maintient le cabinet d’architecture de son mari, continue à donner de nombreux concerts, développe avec succès un atelier de création de poupées de mode de luxe à Paris et ouvre sa propre maison de couture.

L’après-guerre la ramène à Nice où, en 1948, elle acquiert sur un coup de cœur la Villa Beau Site.

Cure et Mme Tissier

Ce n’est pas la famille Addams mais le groupe Cure avec Madame Tissier

Sous le nom de Gisèle Harpa, elle y compose plus de 400 pièces musicales. Elle en fera aussi l’écrin de sa collection d’instruments de musique anciens, aujourd’hui classée par le Ministère de la Culture. Elle y rêve aussi de la création d’un centre international de musique où se tiendraient concerts, expositions, conférences, stages et ateliers d’artistes.

En 1987, elle autorise Robert Smith à y tourner son clip Catch.

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Beau Site et laid legs

Gisèle Tissier en 1987

Gisèle Tissier en 1987

Gisèle Tissier décède pendant les festivités du 14 juillet 1988, un an après le classement de la villa aux Monuments Historiques. Par testament elle lègue son domaine et son patrimoine mobilier à l’Institut de France aux charges et conditions que soit créée une fondation à vocation culturelle, ouverte au public.

Elle précise que cette fondation «sera dirigée comme si elle y était par M. Patrick LeNezet », président de l’Association des Amis de Gisèle Tissier, créée en 1986. L’association est chargée de veiller à la bonne exécution du testament et d’animer le lieu. Elle lègue l’Isba à l’association, et le droit d’usage d’un appartement en rez-de-jardin à M. LeNezet, l’ancien locataire de l’Isba devenu ami.

L’association organise, avec le soutien du Conseil Général des Alpes-Maritimes et celui de musiciens connus, environ 80 concerts et réunions musicales. Elle soutient également des artistes en mettant à leur disposition des ateliers et le magnifique salon de musique de la villa.

Mais l’Institut de France ne donne pas suite aux nombreux projets et M. LeNezet laisse la villa se détériorer. En 1996, la mairie de Nice ordonne même la fermeture immédiate de la villa et en interdit toute réouverture jusqu’à nouvel avis. L’Institut, près avoir employé Patrick LeNezet durant plusieurs années en qualité de « chargé de mission à la surveillance et à l’entretien », le licencie brutalement l’année suivante.

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Ich bin ein Niçois

Villa Beau-Site à Nice

En 2005, l’Institut de France obtient du tribunal une révision des charges de legs lui permettant de vendre le domaine Beau-Site. Après des années de déboires, de procès et de dégradations, la villa vient d’être rachetée par un Allemand fortuné installé à Monaco.

La Griotte tremble à l’idée que les pathétiques et germaniques Tokio Hotel y succèdent aux britishs Cure pour y tourner un clip.

L’architecte niçois Philippe Mialon espère démarrer prochainement les travaux en embauchant quelque 600 artisans spécialisés dans les respect « des techniques de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle ».

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The Cure Catch Griotte

2 commentaires to “The Cure de jouvence”

  1. bel hommage

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  2. merci pour cette belle leçon d’histoire. Voilà un mystère de résolu autour de la Ville Beau Site 😉

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