Les Russes à Nice : crème et bâtiments

Les clochers vernissés en forme de bulbe de l’église russe de Nice, boulevard Tzarevitch.

Natacha expose ses magnifiques 105 E aux giclées de Champagne sur un yacht rutilant au large de la Baie des Anges ; l’oligarque Vladimir vient d’acheter sa 17e villa au Cap d’Antibes ; Igor et Grishka ne jurent plus que par le grand professeur ès-esthétique de Menton ; Sergueï et Dimitri ont invité Irina et Natalia pour faire plaisir à leur client Boris, tsar du gaz ukrainien et l’aider à signer le plus gros contrat de l’année ; la Princesse Alexandra va organiser un fête grandiose avec 900 invités dans son palais mauresque, pour les 3 ans de sa fille, Anna-Karina. Ça se passe comme ça en 2012 à Nice. Et ça se passait déjà comme ça il y a 150 ans !

À quelques jours du Festival du livre de Nice consacré à la Russie, la Griotte, plus fan de Dostoïevski que des aventures de Poutine en Tchétchénie, et plus admirative de la fabuleuse Cathédrale Russe de Nice que du gigantesque yacht mafieu qui vient de faire halte au port, s’interroge sur l’incroyable attrait des Russes pour Nice depuis près de deux siècles.

Une histoire d’amour a scellé le premier lien entre la Russie et Nice.

Dans les années 1850, Joseph Fricero, le peintre originaire de Nice, voyage à Saint-Pétersbourg avec le prince Gagarine. Il tombe amoureux de Youza, fille naturelle du tsar Nicolas Ier. Les noces eurent lieu en 1848 et les époux partirent vivre sur la Riviera et y reçurent souvent la visite de la famille impériale. Une rue est maintenant dédiée au peintre.

Une raison, un peu moins romantique ancra cette belle amitié russo-niçoise. En 1856, la Russie est sortie vaincue de la guerre de Crimée, ses bateaux sont interdits en Mer Noire et le tsar Alexandre II est à la recherche d’un port en Méditerranée pour y abriter de façon permanente ses bateaux. Il fait ami-ami avec le Roi du Piémont –Sardaigne, Victor Emmanuel et signe un accord avec lui pour pouvoir s’installer, lui et sa flotte dans la baie de Villefranche-sur-Mer. Le tsar et sa famille viennent ensuite régulièrement passer l’hiver à Nice, suivis, par les nobles de la cour.

L’impératrice Alexandra Feodorovna

Palais somptueux et bains de mer

Tous construisent de superbes demeures et mènent une vie fastueuse, notamment sous l’impulsion de l’impératrice douairière Alexandra Feodorovna, femme du tsar Nicolas II.  Elle y joua parfaitement son rôle d’ambassadrice : des bals furent organisés en son honneur. Elle-même recevait chez elle, dans la ville De Orestis. D’autre part, elle oeuvra en faveur du développement de la ville ; elle promut notamment la construction d’une large route reliant Nice à Villefranche, baptisée lors de son inauguration  » Boulevard de l’impératrice de Russie  » et devenue à partir de 1945 le  » Boulevard de Stalingrad « .

Avec sa belle-sœur, la grande duchesse Hélène, elles mirent à la mode des bains de mer. Cette nouvelle vogue attira nombre de nobles russes. La vie culturelle de la ville s’en trouva transformée. Les Niçois appréciaient les fêtes organisées par ces étrangers si peu soucieux des sommes qu’elles pouvaient coûter. Elles duraient toute la nuit, tout y était du plus grand goût, le champagne y coulait à flots. Elle y a fait construire la Cathédrale orthodoxe russe Saint-Nicolas, qui est encore aujourd’hui l’un des bâtiments orthodoxes les plus importants du monde, en dehors de Russie, et l’un des monuments les plus remarquables de Nice de l’avis de la Griotte russophile. (Lire à ce propos l’article de la Griotte consacré à cette cathédrale et à sa destinée étonnante : Boulette russe ?)

Au XIXe, poupées russes et flambeurs se succèdent à Nice

  • Nicolas Gogol, écrivain sans le sou y a profité autant que possible de l’hospitalité d’admirateurs fortunés comme la comtesse Vielgorski.
  • Marie Bashkirtseff

    La jeune et jolie Marie Bashkirtseff, (à prononcer sans éternuer) diariste et peintre, y mena une vie brève mais intense. À 15 ans, elle commença à tenir son journal rédigé en français ; elle lui doit beaucoup de sa célébrité. Ses lettres, notamment une correspondance avec Guy de Maupassant qui fut publiée en 1891.

  • Un riche industriel balte, également pianiste virtuose, Paul Grigoriévitch, baron Von Derwies, organisa des fêtes somptueuses au domaine de Valrose qu’il fit construire en 1867. Peu d’étudiants en Sciences se doutent que le parc dans lequel ils ont l’habitude de se détendre fut l’un des centres les plus courus de la présence russe hivernante sur la Côte d’Azur. Le propriétaire, désireux de retrouver son petit coin de Russie, fit transporter de Kiev à Nice une isba en chêne. Actuellement, elle abrite le Bureau des étudiants.
  • Léon Tolstoï et Anton Tchekhov y passèrent quelques temps ; c’est à Nice que Tchekhov fut pris de la passion du jeu. Tous les soirs, il flambait des sommes considérables d’argent au Casino de la ville. Avec son ami Potapenko, ils achetèrent une petite roulette et mirent au point un stratagème qui devait leur permettre de gagner à tous les coups. Malheureusement, la pratique se révéla infructueuse et Potapenko, ayant perdu tout son argent, dut emprunter à son ami la somme nécessaire pour rentrer en Russie…

Après la Révolution Russe, la Riviera, autrefois lieu de villégiature, devint le refuge après l’exil d’une multitude de partisans de l’opposition. Moins fortunés que leurs prédécesseurs, ils reçurent un accueil pour le moins mitigé de la part des Niçois mais réussirent à s’intégrer.

Certains émigrés contribuèrent à faire de Nice un haut lieu de l’art et de la culture et…

…d’autres personnalités russes les ont suivies tout au long du XXe siècle 

  • La maison bleue de Chagall (Musée des Beaux-Arts de Liège).
    Au fond on aperçoit l’église russe de Nice.

    Romain Gary (né Roman Kacew en Russie) y est arrivé à 14 ans avec sa mère dans les années 30 et y a fait ses études (lire à ce propos l’article de la Griotte La prom’ de l’aube)

  • L’architecte Andréï Svetchine, construisit les villas de Marc Chagall, des Maeght, de Christian Dior et du brasseur Heineken et le musée Fernand Léger à Biot. Dans les années cinquante, il a transformé la Colombe d’Or, la célèbrissime auberge de Saint-Paul-de-Vence, dans laquelle il fréquentait Marc Chagall, Christian Dior, Edouard Molyneux et Aimé Maeght. Il lui a donné ce cachet extraordinaire qu’elle possède toujours aujourd’hui.
  • Marc Chagall y peint sans compter et y inaugure le Musée national du Message biblique en 1973. Il sait nous y fait partager ses origines russes et juives  au travers de couleurs très vives et pleines de légèreté.

Décidément, les Russes ne sont pas prêts de remiser leur vodka et autres pétro-dollars sur la Côte d’Azur.

Pour déguster d’autres griotteries à la vodka à propos de la littérature russe et notamment du prochain festival du livre de Nice, vous pouvez choisir au menu du jour : le programme plein de testostérone, les sexy stars à voix chaude, une abbaye pas très catholique, une drôle de salade russe ou une invasion de brouillard prévue en juin.

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